Dans la série « je raconte ma vie », je vais vous narrer mon expérience de pêche du tigerfish au Botswana. C’était en 1996, j’étais invité chez un vieil ami (coucou P’tit Père) qui vit à Gaborone, capitale du Botswana, où il dirige une entreprise de publicité et d’évènementiel.
Je ne pouvais manquer l’occasion d’aller me confronter au redoutable tiger fish de l’Okavango. La rivière Okavango présente la particularité de ne pas se jeter dans l’océan Indien. Suite à un accident géologique, ses eaux se perdent dans le désert du Kalahari, où elles forment un gigantesque delta intérieur de 18 000 km2. Un labyrinthe de canaux, iles, marais, qui abrite une des plus faunes d’Afrique les plus sauvages.
Je pars donc en poubelle voiture, il me faudra 2 jours pour atteindre Shakawe tout au nord du pays, à 1000 kilomètres de la capitale. Bien que j’eusse tenté de convaincre les autochtones de rouler à droite, ils s’obstinaient tous à rouler à gauche, comme les anglais, et au bout d’une centaine de kilomètres et de multiples coups de klaxon, j’ai fini par adopter moi aussi cette étrange coutume locale.
Une route particulièrement monotone, le bush que ça s’appelle. A droite, à gauche de la route : que dalle, juste quelques arbustes rabougris. De temps en temps, je croise un groupe d’autruches. Elles vont toujours par deux ou par trois, comme les gendarmes, et ont l’air aussi intelligent.
Ce qui distrait un peu ce sont les auto-stoppeurs. Des gamins qui vont à l’école ou en sortent, en uniforme, reliquat de la colonisation britannique : pantalon bleu chemise blanche pour les gars, jupe plissée chemisier et soquettes blanches pour les filles. Et ils causent de leurs devoirs, comme tous les écoliers du monde, c’est sympa.
Petite étape à Maun, juste avant le delta, là d’où partent les safaris et les survols de la réserve en avion. Je me provisionne en accessoires : des Rapala, à l’époque on ne trouvait pratiquement que ça comme leurres. Et des putains de bas de ligne en acier qui laissent bien présager des adversaires que je vais rencontrer.
Et je continue ma route, pas en avion comme les gars de la vidéo en bas de l’article, mais en voiture. Je contourne tout le delta pour arriver là où la rivière est encore une rivière, à Shakawe.
Je descends chez Dodsky un superbe lodge au bord de la rivière. Pour faire des économies, mais surtout pour me la péter aventurier, je ne prends pas une chambre, mais installe ma tente dans le jardin. Diner très sympa en compagnie de gens venus de tous les pays, majorité de Sud Af’, un Belge, un Allemand, des Anglais, gens cultivés à l’opposé du tourisme du masse que l’on voit au Kenya ou en Tanzanie. Un petit côté « Out of Africa », ce repas en regardant de gros crocodiles barboter à nos pieds.
De retour sous la tente, je me roule un bon vieux pétard de l’herbe locale, la Motokwani. Catastrophe ! Je ne sais pas si c’est la fatigue due au voyage à travers le désert, ou si cette beuh est vraiment archi forte de sa race, mais au bout de 5 minutes je suis cloué au sol, incapable de bouger. Complètement raide, comme on dit dans les milieux autorisés. Et je me paye de vilaines images d’énormes crocos à la Bernard et Bianca qui viennent me bouffer tout cru. Bad trip, je ne toucherai plus à l’herbe de toute ma vie pendant quelques jours.
Le lendemain matin, réveillé par ces connards de singes, petit déjeuner, et départ sur la rivière dans une barque en alu à fond plat. Mon guide, Mike, est un barbu blond très sympa. Un fermier blanc Zimbabwéen qui a été chassé de ses terres par la folie anti-blanc qui règne dans son pays. Un vrai homme du bush, qui connait tout ce pays par cœur et qui a le sens du partage. Au début, ce n’est pas évident de pêcher sereinement alors que sur la berge, vautrés dans les papyrus, se tiennent des crocos de 5 mètres de long. Et puis on s’y fait.
D’autant que c’est la saison du barbel run, un phénomène qui se produit une fois par an, en hiver (entre aout et octobre, nous sommes dans l’hémisphère sud). Comme l’eau se raréfie dans le delta, de nombreuses espèces de poissons le fuient, et remontent la rivière. Là où ils sont attendus par leur prédateur : le tiger fish. Et le prédateur du tiger, c’est nous, et on finit par le trouver. Il n’y en pas partout des poissons tigres, on dirait qu’ils se rassemblent à certains endroits de la rivière, en petites troupes, et qu’ils font un barrage pour ne laisser aucune chance à leurs proies.
Et quand on tombe dessus, c’est une tuerie ! N’importe quel leurre est attaqué avec férocité, complètement déchiqueté par les dents de Dracula de ce poisson. Le tigerfish a une mâchoire très puissante, et aussi très très dure, c’est de l’os. Pas évident de bien planter le triple dedans. Et bien souvent le poisson lâche avant d’être amené au bateau. Mais il ré-attaque le leurre qu’il vient de lâcher, je n’ai jamais vu une telle férocité chez un prédateur ! De temps en temps, on bouge le bateau, pour se trouver un autre coin à tigers. Et re pan ! Ça cogne dans tous les sens, Mike et moi bataillons la plupart du temps un poisson chacun en même temps. La plupart font entre 3 et 5 kilos, avec quelques beaux spécimens de 6 kilos. Et tous ont une défense de folie, des rush incroyables, et des sauts acrobatiques hors de l’eau. Je n’ose imaginer ce que ce doit être avec les Tiger Fish Goliath de 50 kilos du Congo ou du Zambèze !
Nous rentrons nous coucher, épuisés.
Le lendemain, même combat. Nous nous entendons super bien avec le guide, avons le même amour de la nature et le même sens de la déconnade. Nous sommes en train de nous battre avec deux beaux tiger en poussant des cris de cow-boys quand arrive une grosse embarcation, pleine de mecs en uniforme, M16 sur les genoux. Palabres avec le guide, en je ne sais trop quelle langue, d’où il ressort que les gardes recherchent un braconnier chassant la viande de brousse, protégée dans la réserve. Ils s’éloignent, nous nous remettons à pêcher. Un quart d’heure plus tard, nous entendons une rafale d’arme automatique et Mike dit sobrement « they got him ».
Je n’ai aucune idée du nombre de poissons tigres que nous avons pris durant ces deux jours. Nous ne gardons que quelques belles pièces qui seront données au gens des villages alentour, il parait que c’est plein d’arêtes, mais que les villageois apprécient.
J’en garde aussi deux de 5 kilos que je voudrais faire naturaliser, ça va être coton de traverser le désert sans la clim avec deux fish. Pas une brillante idée.
Le lendemain, départ. Je vais pour payer mon séjour avec ma carte bancaire, mais la dame du lodge ne les acceptait pas encore à l’époque. « C’est pas grave, me dit-elle. Ma sœur tient un petit supermarché à Maun, c’est juste à 350 Km, et c’est sur votre route. Vous lui donnerez cette facture, et vous pourrez payer en carte, on s’arrangera après ».
Tu imagines ça en France, cette confiance ?
Après avoir payé mes dettes, je confie à la sœur mes deux poissons, qu’elle les mette au congélateur le temps que je trouve une solution pour la taxidermie.
Aujourd’hui, 16 ans plus tard, je m’aperçois que j’ai complètement oublié, alors si vous me lisez : vous pouvez retirer les poissons du congélo !
Un souvenir que j’ai gardé : un Rapala bien destroyé par les dents du tiger fish après seulement quelques lancers :
Vraiment, ce fut une expérience inoubliable. Je compte bien retourner un jour pêcher le tiger fish au Botswana, à la mouche cette fois, pour encore plus de sensations.
Une petite vidéo trouvée sur le Net pour illustrer l’ambiance de la pêche au poisson tigre sur la rivière Okavango :
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Une réponse à Pêche du Tiger Fish dans l’Okavango